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Zoroastre
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet
Westphal

Je ne parlerais pas ici de cet homme si fameux, si l’on ne le confondait avec Abraham, et si dans l’Écriture il n’était parlé des chamanim, ou temples consacrés au feu, qui est le principal objet dut culte des disciples de Zoroastre.

L’on est fort partagé sur le temps auquel a vécu Zoroastre. Nous proposerons d’abord les sentiments des Orientaux, puis nous viendrons à ceux des Grecs et des Latins. Les Orientaux le nomment pour l’ordinaire Zerdascht, ou Zaradascht, ou Zerdoust. L’ouvrage intitulé : Livre du philosophe Giamasb, dit que l’an 1300 après le déluge, Zoroastre commença à paraître et enseigna aux hommes le culte et l’adoration du feu. Qu’après sa mort Kistab, fils de Lohorasb, qui régnait en Perse, embrassa sa religion, et y demeura fort attaché.

Sous le règne de ce prince vivait le grand philosophe Giamasb, surnommé le Mage, qui dit dans son livre des grandes conjonctions que pendant la grande conjonction des planètes, qui arriva 1300 ans après le déluge, au mois de schebat, sous le règne de Féridoun, roi de Perse de la première dynastie, Dieu envoya le prophète Zerdascht ou Zoroastre.

Il dit plus bas : Après Zoroastre et depuis la construction des pyrées, ou temples destinés au culte du feu, arriva la seconde conjonction appelée très-grande, et il sortit alors des montagnes du troisième climat un personnage surnommé le Maître de la Verge (c’est Moïse), lequel fonda une autre religion que celle de Zoroastre. Voilà ce qu’on a de plus ancien touchant Zoroastre. Le livre de Giamasb n’est point supposé, aussi bien qu’un autre qu’on attribue à Zoroastre même, et qui porte le nom de Késab-al-Kéranat : remarque comme le premier, que le Maître de la Verge ou Moïse parut dans la seconde grande conjonction des planètes ; et ils sont conformes en cela au sentiment des anciens Persans, qui veulent tous que Zoroastre soit plus ancien que Moïse.

Sur ce pied là, Zoroastre aura paru dans le monde treize cents ans après le déluge ; c’est-à-dire, selon la chronologie que nous suivons, l’an du monde 2956, avant Jésus-Christ 1044, avant l’ère vulgaire 1043, et par conséquent longtemps après Moïse, qui sortit de l’Égypte l’an du monde 2513, avant Jésus-Christ 1487, avant l’ère vulgaire 1491. Ainsi la chronologie des Persans, qui veulent que Zoroastre soit beaucoup plus ancien que Moïse, et qui croient toutefois qu’il a paru 1300 ans après le déluge, est défectueuse, et il faut dire qu’il ne commença à paraître qu’au commencement du règne de David sur tout Israël, après la mort d’Isboseth.

Les mages de Perse, pour autoriser leur doctrine, soutiennent que leur maître Zoroastre est le même que le patriarche Abraham, qui ayant été jeté dans une fournaise ardente par l’ordre de Nemrod, duquel il condamnait l’idolâtrie, en sortit miraculeusement sans en ressentir la moindre impression. La vue de ce prodige convertit plusieurs personnes et attira à Abraham, qu’ils appellent Ibrahim Zerdascht, comme qui-dirait Abraham l’ami du feu, une infinité de sectateurs, auxquels il n’eut pas de peine à persuader de rendre leur adoration au feu. Aussi ce fut dans la Mésopotamie et dans la Chaldée que les premiers pyrées ou temples du feu furent établis.

Mais ce sentiment est encore plus insoutenable que le premier pour plusieurs raisons, la première tirée de la chronologie. Nemrod naquit bientôt après le déluge, puisque l’Écriture, aussitôt après la construction de la tour de Babel, le représente comme fondant des villes et établissant une grande monarchie. Ainsi en mettant sa naissance sous l’an du monde 1660, quatre ou cinq ans après le déluge, il aura dû être âgé de 423 ans lorsque Abraham sortit de la ville d’Ur pour aller dans la terre de Chanaan, l’an du monde 2083, avant Jésus-Christ 1917, avant l’ère vulgaire 1921. Or il est rare de voir des hommes nés depuis le déluge vivre aussi longtemps.

Mais accordons que Nemrod l’ait pu voir, et même qu’il l’ait persécuté ; quelle preuve a-t-on qu’il l’ait fait jeter dans le feu, et qu’Abraham en soit sorti sain et sauf ? Les Juifs et les Orientaux l’enseignent ainsi, il est vrai, mais sur quel fondement ? C’est qu’il est dit qu’il sortit d’Ur. Ur signifie le leu, donc il sortit d’une fournaise ardente. Moïse aurait-il raconté si succinctement un tait d’une si grande conséquence ? La manière même dont il raconte la chose ne prouve-t-elle pas qu’Ur signifie une ville (Genèse 11.28-31) ? Aran mourut avant son père Tharé, dans la terre de sa naissance, dans Ur de Chaldée ; et ensuite : Tharé prit donc Abram son fils, et Lot fils d’Aram, et Sara sa bru et il les fit sortir d’Ur de Chaldée. Et ailleurs (Genèse 15.7) : C’est moi qui vous ai fait sortir d’Ur de Chaldée. Tous ces passages réunis ne prouvent-ils pas qu’Ur est un nom de ville ? car qui a jamais dit que Tharé, Abram, Lot et Saraï aient été jetés dans le feu par les Chaldéens ? Saint Jérôme à la vérité traduit (Néhémie 9.7) : Vous avez tiré Abraham du feis des Chaldéens, parce qu’il a jugé à propos de rendre littéralement le nom d’Ur. Mais dans ses Questions hébraïques, il traite de fable ce que les Juifs disent du feu d’où Abraham fut délivré. [Voyez Ur, etc].

C’est faire injure à la religion et à la piété d’Abraham de dire qu’il établit dans l’Orient le culte du fèu. Il ne paraît pas par sa véritable histoire racontée dans la Genèse qu’il ait jamais rendu aucun honneur particulier à cet élément, ni qu’il en ait inspiré la dévotion à ses enfants. Les Israélites anciens, bien instruits sans doute des sentiments de leur père, ont toujours détesté ce culte, et tout autre culte de la créature. Je ne m’informe pas si les sectateurs de Zoroastre ont rendu autrefois, et rendent encore aujourd’hui une adoration absolue, ou un culte seulement relatif à l’élément du feu ; il me suffit de montrer qu’Abraham n’a rien fait ni rien enseigné de pareil, et par conséquent qu’il est très-différent de Zoroastre.

Les autres auteurs orientaux font vivre Zoroastre longtemps après Abraham. Kondemir, dans la Vie de Kischstab, fils de Lohorasb, dit que Zoroastre, ayant appris par les règles d’astrologie qu’il devait naître un grand prophète, se mit en tête de persuader au monde que c’était lui-même. Pour y réussir, il invoquait souvent le démon, qui lui apparaissait au milieu du feu, et lui imprimait une marque lumineuse sur le corps. Cet éclat avec lequel il paraissait de temps en temps, et la hardiesse avec laquelle il déclarait qu’il était envoyé de Dieu, lui acquirent la créance de plusieurs ; il composa un livre sous le nom de Zend, qui contenait toute sa doctrine et tout ce que le diable transformé en ange de lumière lui avait fait entendre du milieu du feu. Le même auteur dit que ceux qui ne font pas Zoroastre si ancien, veulent qu’ayant appris par les livres des Hébreux qu’il viendrait après Moïse un autre grand prophète désigné par Balaatn sous l’idée d’un astre et d’une lumière, entreprit de se faire passer pour cette lumière.

Le Tarik Monthekeb enseigne que Zoroastre fut disciple des prophètes Élie et Élisée et des Réchabites, desquels il avait appris le secret des prophéties des Juifs ; mais que les ayant corrompues par le mélange de ses rêveries particulières, il en composa son Livre de vie. Il est, dit le même auteur, le premier qui ait enseigné la doctrine des deux principes du bien et du mal, et que le nom de mégiousch ou de mages, qu’un donne à ses sectateurs, est un nom corrompu du persien méikousch qui signifie aigre-doux, à cause des deux principes bon et mauvais qu’il établissait.

Selon ces deux auteurs persans que nous venons de citer, Zoroastre était contemporain de Kischtasb, fils de Lohorasb, cinquième roi de Perse, de la dynastie des Caïaniens, que ce prince embrassa la doctrine de cet imposteur, là fit recevoir par tous ses sujets, et fit bâtir des pyrées par toute la Perse. Or le roi Kischtasb est le même que Hystaspe, ou Darius, fils d’Hystaspe des Grecs, et par conséquent Zoroastre n’aura vécu qu’après la captivité de Babylone ; d’autres le font contemporain de Jérémie, de Daniel et d’Esdras ; et font son père Lohorasb contemporain de Nabuchodonosor et de Balthasar. Tout cela éloigne extrêmement Zoroastre du temps d’Abraham.

Les chrétiens orientaux font Zoroastre contemporain de Cambyse. Quelques-uns le font natif de Médie, et d’autres d’Assyrie, et veulent qu’il ait été disciple d’Élie, apparemment parce que ce prophète fut enlevé par un chariot de feu (2 Rois 2.11), et qu’il fit descendre le feu sur ceux qui étaient envoyés pour le prendre (2 Rois 1.10-12), et ensuite sur les victimes qu’il offrit au Seigneur sur le mont Carmel (2 Rois 18.38). Abulfarage dit de plus que Zoroastre prédit à ses sectateurs la venue du Messie, les avertit qu’il paraîtrait une nouvelle étoile à sa naissance, que ce Messie naîtrait d’une Vierge, et qu’ils en auraient la première nouvelle, et qu’ils ne manquassent point de lui aller offrir leurs présents ; c’est à quoi obéirent les Mages qui vinrent adorer Jésus-Christ à Bethléem.

L’anachronisme est sensible de faire Zoroastre contemporain de Cambyse et d’Élie, qui ont vécu en des temps si éloignés les uns des autres. Cambyse est mort l’an du monde 3483, et Élie a été enlevé du monde vers l’an 3108.

Ebn-Batrik, autrement Eutychius, patriarche d’Alexandrie, croit que Zoroastre fut contemporain de Smerdis, successeur de Cambyse, et prédécesseur de Darius, fils d’Hystaspe, et qu’il a vécu sous Thamurath, roi de Perse de la première dynastie des Pischdadiens. L’auteur du Tarik Monthekeb semble croire que Zoroastre était le même que Smerdis dont on vient de parler, et chef de la secte des guèbres, que les mages firent monter sur le trône ; car le nom persien de Mikhousch, qui est un abrégé de Mickgousch, convient fort bien à Smerdis, qui avait les oreilles coupées.

Ben-Schunah prétend que Zoroastre était disciple d’Esdras, et que ce prophète lui donna sa malédiction à cause qu’il soutenait des sentiments fort opposés à ceux du judaïsme ; que Dieu, pour le punir de son impiété, le frappa de lèpre, comme autrefois Giézi ; qu’ayant été à ce sujet chassé de Jérusalem, il se retira en Perse, où il se rendit chef d’une nouvelle religion. Les Perses étaient alors zabiens ; il leur enseigna le culte du feu, et fit un mélange du zabiisme et du magisme, dont il est l’inventeur ; d’où vient que plusieurs confondent les zabiens avec les mages.

D’autres auteurs persans veulent que Zoroastre soit du nombre de ceux qui ont bâti la tour de Babel ; d’autres le confondent avec Dohac, un des rois de Perse de la première dynastie des Pischdadiens ; d’autres le font descendre de Manougeher, roi de Perse de la même dynastie : tant les Perses eux-mêmes sont peu d’accord sur l’âge de ce fameux imposteur.

Plusieurs auteurs anciens et modernes parmi les Orientaux veulent que Zoroastre n’ait été que le réformateur, et non pas l’inventeur du magisme. En effet nous lisons dans les histoires des plus anciens rois de Perse que le culte du feu avait commencé dès le temps de Caïumarrath, premier fondateur de cette grande monarchie des Perses, selon les Orientaux, ou plutôt des Assyriens, selon les Grecs et les Latins. Or voici, selon eux, l’origine de ce culte. Caïumarrath ayant perdu son fils Siarnek, qui avait été assassiné par des brigands, fit allumer un grand bûcher sur le lieu où il fut enterré. Tous ses sujets, à l’envi l’un de l’autre, firent de même allumer des feux par toute la Perse, pour marquer la part qu’ils prenaient à la perte du jeune prince. Ces feux devinrent peu à peu l’objet de leur culte et le fondement de leur religion.

Venons à présent aux auteurs grecs qui ont parlé de Zoroastre. Eudoxe le met six mille ans avant la mort de Platon ; Aristote en fait de même, Hermodore, Hermippe et Plutarque veulent qu’il ait vécu cinq mille ans avant la guerre de Troie. Mais Xanthus le Lydien et un autre auteur anonyme que Suidas a suivi se contentent de mettre, l’un cinq cents ans avant la guerre de Troie, et l’autre six cents ans avant l’expédition de Xerxès contre la Grèce. Ce dernier sentiment est celui de Xanthus le Lydien, que Suidas fait vivre sous le règne de Darius, fils d’Hystaspe, et dont le témoignage serait beaucoup plus considérable, si l’on était sûr que les ouvrages qui portent son nom fussent véritablement de lui ; mais Athénée nous apprend que les ouvrages qui portaient son nom avaient été composés par un Grec nommé Denys Scythobrachion, qui vivait peu de temps avant Jules César. [Voyez Darius, fils d’Hystaspe].

Justin dit que Zoroastre était roi de la Bactriane et contemporain de Ninus, roi d’Assyrie ; qu’il inventa l’art magique, et fut très-habile dans l’astronomie et dans la connaissance de l’antiquité ; que Ninus lui fit la guerre, le vainquit, et lui ôta la vie. Pline reconnaît deux Zoroastre ; l’un très-ancien, qui a vécu, dit-il, plusieurs milliers d’années avant les factions de magie de Moïse, de Jamnès et de Jotape [sic]. Ce Zoroastre était de Perse, et on le tient pour le plus ancien inventeur de la magie ; l’autre était de Proconèse, et vivait peu de temps avant Ostane, qui accompagna Xerxès dans l’expédition contre la Grèce. Il est certain qu’on ne peut concilier ni les auteurs orientaux entre eux, ni les auteurs grecs et latins entre eux ni avec les orientaux, si l’on admet deux ou même plusieurs Zoroastre.

Jean Cassien, Pierre le Mangeur, le faux Bérose, le P. Kircher, le P. Scipion Sgambat et quelques autres ont cru que Ckom était le même que Zoroastre, inventeur de la magie. L’auteur des Récognitions, sous le nom de saint Clément, croit que c’est Mizraim, fils de Cham ; l’auteur de la Chronique pascale a suivi ce dernier sentiment. Grégoire de Tours a confondu Zoroastre avec Chus, fils de Cham ; celui qui a donné les écrits prétendus de saint Clément le confond avec Nemrod, François Patricius avec Japhet ; l’Évangile de l’Enfance de Jésus croit que les mages qui vinrent adorer Jésus-Christ à Bethléem avaient appris sa naissance de Zoroastre leur maître ; et Georges Hornius a prétendu que Zoroastre était le même que Balaant de Moïse. Il faut avouer qu’il est très-malaisé de faire un choix juste et assuré au milieu de toutes ces diversités de sentiments, et que vouloir les concilier c’est entreprendre l’impossible ; qu’enfin une des plus grandes preuves d’incertitude en fait d’histoire est la diversité de sentiments, qui n’est nulle part si grande que dans cet endroit.

Si, pour nous frayer un chemin à la connaissance de Zoroastre, nous recherchons l’origine du culte du feu, nous nous trouverons dans de nouveaux embarras, puisque Moïse, au jugement de plusieurs savants, a parlé des pyrées ou des temples consacrés au culte de cet élément dans le Lévitique (Lévitique 26.30). sous le nom de chamanim. Dieu y menace les Israélites désobéissants à ses ordres de renverser leurs hauts lieux, d’exterminer leurs chamanim, ou leurs lieux consacrés au culte du feu ou du soleil, et dejeter leurs cadavres sur les cadavres de leurs dieux d’ordure. Isaïe se sert du même terme de chamanim (Isaïe 27.9), il menace de même les Juifs infidèles de renverser leurs bois profanes et leurs chamanim.

Il y en a qui croient que les chamanim marqués dans le 2° des Rois (2 Rois 23.5), dans Osée (Osée 10.5) et dans Sophonie (Sophonie 1.4), ne sont autres que les prêtres ou les mages qui entretenaient le feu sacré dans les pyrées. Le terme charnanim signifie noircis, nom que l’on donne par dérision à ces prêtres qui, comme des charbonniers, étaient perpétuellement occupés à attiser, et à entretenir le feu. Le roi Josias(2 Chroniques 24.4) détruisit les autels de Baal, et renversa les chamanim qui étaient en haut au-dessus d’eux, et les bois consacrés aux faux dieux, Tout cela fait voir l’antiquité de cette superstition.

Quelques-uns croient que ce feu perpétuel que Moïse ordonna qu’on entretînt sur l’aulel du Seigneur (Lévitique 6.9-12), était une imitation du feu des mages, et une condescendance de Moïse pour les Hébreux, accoutumés de longue main à voir de ces sortes de feux entretenus dans les temples des païens. Théophraste, cité dans Eusèbe, met cette coutume de conserver le feu toujours allumé dans les temples parmi les plus anciennes pratiques de religion. Ammien Marcellin, dit que les mages prétendaient que le feu de leurs temples était descendu du ciel. On portait toujours le feu devant les rois de Perse. On ne peut pas dire que Zoroastre et les mages aient imité en cela les Juifs, puisque Moïse parle déjà des chamanim, qui subsistaient encore dans Israël du temps d’Isaïe, et après lui sous Josias, roi de Juda.

Si donc Zoroastre est le premier auteur du culte du feu, il faut avouer qu’il est plus ancien que Moïse ; s’il n’en est que le réformateur, on pourra le mettre quelque temps après Cyrus ; et s’il y a eu plusieurs hommes du nom de Zoroastre, cela donnera encore une plus grande carrière aux conjectures et aux variétés de sentiments sur sa personne. Nous n’osons donc prendre aucun parti sur le temps précis auquel il a vécu. Mais il nous parait que le Zoroastre qui parut en Asie un peu après Cyrus, et qui forma la religion des mages, était purement païen ; qu’il rendait un culte impie aux astres et au feu, et aux deux principes, dont l’un était subordonné à l’autre, et que cette ancienne religion était assez différente de celle des guèbres, ou gaures d’aujourd’hui, qui se disent disciples de Zoroastre, et qui adorent le feu ; mais ils ont mêlé à l’ancienne religion de leur maître plusieurs sentiments pris des Juifs et des chrétiens. Nous avons parlé des anciens mages et de leurs principes de religion, ci-devant, sous le nom de Mages. Nous allons donner ici ce qui regarde les guèbres, ou adorateurs du feu, qui se voient aux Indes et dans la Perse.

M. Hyde, qui a fort étudié l’ancienne religion des Perses, prétend que Zoroastre est le plus grand imposteur qui ait paru dans le monde, à l’exception de Mahomet Celui-ci était ignorant, et ne savait ni lire ni écrire ; au lieu que Zoroastre était, dit-il, très-versé dans toutes les sciences des Orientaux, et surtout dans la religion des Juifs, et dans les livres de l’Ancien Testament : ce qui lui fait croire qu’il était Juif d’origine, et natif de la terre sainte. Il conjecture qu’il était disciple du prophète Daniel, et qu’ayant vu ce grand homme élevé aux premières dignités, il résolut de s’ériger aussi en prophète, et de tenter de parvenir à une pareille fortune. Il ne fonda pas une nouvelle religion ; il entreprit seulement de réformer celle des mages, qui, pendant plusieurs siècles, avait été la religion dominante des Mèdes et des Perses.

Mais il paraît que M. Hyde s’est laissé trop prévenir en faveur des disciples de Zoroastre, et qu’il n’a pas assez distingué la créance des anciens mages de celle des guèbres ou gaures d’aujourd’hui. Il prétend que les anciens Perses avaient des idées justes de la Divinité, qu’ils n’admettaient qu’un seul Dieu ; qu’à la vérité, ils admettaient deux principes, mais l’un incréé, et l’autre créé ; que le culte qu’ils rendaient au soleil et au feu, était purement civil. Mais les anciens auteurs qui nous ont parlé de la religion des Perses conviennent unanimement qu’ils adoraient le soleil et le feu, l’un et l’autre sous le nom de Mithras. Si les flou-veaux adorateurs du feu s’expliquent différemment, et s’ils ont adopté divers sentiments, tirés de la religion des juifs, des mahométans ou des chrétiens, on ne doit pas les mettre sur le compte de Zoroastre, leur maître.

Les guèbres, par exemple, tiennent qu’il y a un Être souverain et indépendant, qui existe par lui-même de toute éternité ; que sous cet Être il y a deux anges, l’un de lumière, qui est l’auteur du bien, et l’autre des ténèbres, qui est l’auteur du mal ; que ces deux anges ont formé du mélange de la lumière et des ténèbres toutes les choses qui existent. Anciennement les mages élevaient des temples découverts, consacrés au feu, sur le sommet des montagnes et sur d’autres lieux élevés en plein air ; mais comme la pluie, les tempêtes, les orages, éteignaient souvent leur feu sacré, on bâtit sur ces autels des temples, afin que ce feu sacré ne s’éteignît plus, et qu’on y pût mieux pratiquer le culte divin. C’était devant ces feux qu’ils exerçaient tous les actes de leur religion. Les anciens enseignent unanimement qu’ils leur rendaient un culte suprême ; mais ceux d’aujourd’hui nient constamment qu’ils adorent le feu, mais seulement Dieu dans le symbole du feu ; ils s’approchent toujours de ces feux du côté de l’Occident ; en sorte qu’ils ont toujours le visage tourné vers le feu et le soleil levant.

Le prophète Isaïe (Isaïe 45.5-7) paraît avoir eu en vue les erreurs des mages sur le sujet des deux principes, lorsqu’il dit : Je suis le Seigneur, et il n’y a point d’autre Dieu que moi. C’est moi qui forme la lumière et qui crée les ténèbres, qui fais la paix et qui crée la diversité : je suis le Seigneur qui fait toutes choses. C’est le Dieu Asrael qui adresse ces paroles à Cyrus, roi de Perse. Ézéchiel, parlant des idolâtres (Ézéchiel 8.16), dit qu’il les vit qui étaient prosternés entre le parvis et l’autel des holocaustes, ayant leurs visages tournés vers l’orient, et se prosternant devant le soleil. Tout cela fait une allusion sensible au culte des, mages, disciples de Zoroastre.

Cet imposteur feignit qu’il avait apporté du ciel un feu sacré, et il le déposa sur l’autel du premier temple qu’il fit bâtir dans la ville de Xiz en Médie, d’où il fut répandu dans tous les autres temples qui suivirent le rit des mages. Le respect que les prêtres avaient pour ce feu prétendu sacré était tel, qu’ils veillaient jour et nuit pour l’entretenir, et qu’ils ne le soufflaient jamais ni avec la bouche, ni avec des soufflets, de peur de le souiller. Cela leur était défendu sous peine de la vie ; et ils poussaient si loin cette superstition, que les prêtres mêmes n’osaient approcher de ce feu sacré qu’avec un linge sur la bouche, de peur que leur souffle ne le souillât : de là vient aussi qu’en faisant leurs cérémonies, ils murmuraient plutôt entre leurs dents qu’ils ne-prononçaient leurs prières d’une manière articulée.

De la Médie Zoroastre passa dans la Bactriane, où il établit sa demeure dans la ville de Baleh ; de là il se rendit dans les Indes, et devint habile dans toutes les sciences qui y étaient en honneur. Il revint à Baleh, située sur le fleuve Oxus, aux confins de la Perse, des Indes et du Cowaresman, y bâtit le principal de ses temples, et voulut que tous ses sectateurs y fissent leur pèlerinage. Mais depuis le ravage de la Perse par les mahométans au septième siècle, farchimage a fixé sa demeure à Kerman, et le temple de ce lieu n’est pas moins respecté que l’était celui de Baleh auparavant.

Les mages ont encore aujourd’hui un livre, composé, à ce qu’ils prétendent, par Zoroastre ; il le composa dans une caverne, où il s’était retiré ; il était écrit en douze volumes, dont chacun contenait cent peaux réduites en vélin. Ce livre est nommé Zendavesta, et par contraction Zend. Ce mot signifie à la lettre : Allume-feu, comme est parmi nous une boîte à fusil. La première partie de ce livre contient leur liturgie, dont ils se servent encore aujourd’hui dans leurs temples ; le reste traite des autres matières de leur religion. Les mages ont pour ce livre le même respect que nous avons pour la Bible ; il est écrit en vieux langage et en vieux caractères persans, ou chaldéens. M. Hyde s’était offert de publier cet ouvrage avec une traduction latine, pourvu qu’un voulût l’aider à soutenir les frais de l’édition : Mais ce projet, faute de secours, n’a pas eu son exécution.

On trouve dans ce livre plusieurs choses prises de l’Ancien Testament, et une grande partie des psaumes de David. Zoroastre y fait Adam et Ève chefs du genre humain : il y donne l’histoire de la création du monde, à-peu-près de même que Moïse, avec cette différence, qu’au lieu que Moïse dit que Dieu créa le monde en six jours, Zoroastre veut qu’il l’ait créé en six temps différents, composés chacun d’un certain nombre de jours, qui l’ont en tout trois cent soixante-cinq, c’est-à-dire, un an entier. Il y parle aussi d’Abraham, de Joseph, de Moïse et de Salomon, de la même manière que l’Écriture. Il appelle son livre, le livre d’Abraham ; et sa religion, la religion d’Abraham. Il donne les mêmes lois que Moïse touchant les animaux purs et impurs, touchant le payement des dîmes aux prêtres, touchant le soin qu’on doit avoir d’éviter toutes sortes de souillures, tant intérieures qu’extérieures ; touchant la manière de s’en corriger, touchant la conservation du sacerdoce dans la même tribu, touchant l’ordination d’un souverain pontife. Le reste de ce livre contient l’histoire de la vie et des prophéties de l’auteur, et des exhortations à la vertu. Sa morale est pure, à l’exception de l’inceste qu’il regarde comme une chose indifférente.

Tous ces caractères prouvent invinciblement que Zoroastre est postérieur à Moïse, et d’autres particularités que les guèbres racontent de l’auteur de leur secte, copiées sur l’histoire de Jésus-Christ, prouvent qu’ils ont mêlé leurs anciennes superstitions à quelques vérités de la religion chrétienne, et à quelques pratiques des chrétiens, qu’ils ont toutefois altérées et corrompues en différentes manières. Ils disent, par exemple, que la mère du prophète qui les a fondées se trouva enceinte après la visite qu’elle reçut d’un ange, que les astrologues connurent par la vertu de leur art que le fils qu’elle mettrait au monde serait un prophète qui formerait une nouvelle secte. Ils en avertirent Neubrom, ou Nemrod, qui régnait alors. Ce prince ordonna qu’on mit à mort toutes les femmes qui se trouveraient enceintes dans son empire. L’ordre fut exécuté. Mais la grossesse du futur prophète ne parut point : elle fut sauvée ; l’enfant naquit heureusement, et fut nommé Ebrahim-Zer-Atcucht. Le roi ayant été averti de sa naissance, se le fit apporter, et tirant son sabre, voulut le tuer de sa propre main ; mais le bras lui sécha sur le champ. Il fit allumer un grand feu, et y fit jeter l’enfant, qui y reposa comme sur un lit de roses. Après plusieurs autres prodiges opérés, le prophète disparut, et fut enlevé, selon les uns, dans le ciel en corps et en âme ; selon d’autres, s’étant mis dans un cercueil de fer, il fut emporté par les anges.

Après qu’Ebraïm-Zer-Atcucht fut entré dans le paradis, Dieu envoya à ses disciples, par son moyen, sept livres, qui contenaient la véritable religion, puis sept autres de l’explication des songes, et enfin sept de la médecine. Alexandre, devenu maître de l’Orient, fit brûler les sept premiers, parce que personne n’entendait la langue dans laquelle ils étaient écrits, et garda les quatorze autres pour son usage. Après la mort de ce conquérant, les gaures rétablirent, autant que leur mémoire leur put fournir, tes sept livres qui avaient été brûlés, et en composèrent un assez gros, que les gaures conservent encore aujourd’hui, mais dont ils n’entendent pas le langage, et dont ils ne connaissent pas même le caractère, qui est différent de l’arabe, du persan et de l’indien. C’est ce qu’en disent certains nouveaux voyageurs, n oins instruits que les auteurs que nous avons cités plus haut, touchant le caractère et la langue des livres de Zoroastre.

Les guèbres ou gaures ont encore du respect pour le feu, ils le gardent encore avec soin, et le distribuent chaque mois à ceux de leur secte, : ils le nomment feu céleste, et jurent par cet élément ; mais ils ne l’adorent point ; ils ne reconnaissent qu’un seul Dieu créateur du ciel et de la terre. Ils lavent leurs enfants après leur naissance dans de l’eau chaude, pendant qu’un mage ou gazi récite quelque prière. Quand ils se marient, un gazi frotte le front des mariés avec une certaine eau sur laquelle le gazi a prononcé quelques prières. Ils croient la résurrection universelle, et ils croient qu’avant ce temps toutes les nations se réuniront en une seule religion, qui sera celle de leur prophète.

Tous ces caractères paraissent empruntés du christianisme. Chaque gaure peut avoir cinq femmes ; mais il y en a toujours une qui a la supériorité sur les autres ; ce qui est pris du judaïsme.

La plupart de ceux qui ont écrit touchant Pythagore veulent qu’il ait été disciple de Zoroastre à Babylone, et qu’il ait tiré de lui toutes ces grandes connaissances qui l’ont rendu depuis si fameux dans tout l’Occident. C’est ce qu’en disent Apulée, Jamblique, Porphyre, et Clément d’Alexandrie. Le Zabratus, ou Zaratus de Porphyre, et le Nazaratus de Clément d’Alexandrie ne sont autres que Zoroastre. Cambyse ayant conquis l’Égypte, y trouva Pythagore qui y voyageait, le prit prisonnier, et l’envoya avec les autres captifs à Babylone ; il y fit connaissance avec Zoroastre ou Zabratus, qui y était alors ; Zabratus le purifia des souillures de sa vie précédente, l’instruisit des choses dont un homme vertueux doit être affranchi, lui apprit ce qui concerne la nature, et quels sont les principes de l’univers. Nous n’entrons pas ici dans l’examen de toutes ces choses. N’en voilà déjà que trop pour un dictionnaire de la Bible. On peut voir sous le titre d’Ézéchiel que quelques-uns ont cru que Pythagore avait connu ce prophète, et que c’était lui que les anciens avaient voulu désigner sous le nom de Nazaratus, ou de Zaratus.