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Lievre
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet
Westphal Bost

lepus. Cet animal est de la taille d’un lapin, mais plus gros. Il n’y a point d’animal qui soit d’une si grande fécondité que le lièvre. On trouve assez souvent des femelles de lièvres qui sont actuellement nourrices, et qui sont encore pleines de petits ; les uns qui ont déjà du poil, les autres plus ou moins formés, selon la différence des temps qu’elles ont conçu. On voit aussi des lièvres qui sont tout ensemble mâles et femelles, et qui usent des deux sexes. J’ai vu des personnes très-dignes de foi qui m’ont assuré l’avoir expérimenté, et avoir vu des lièvres de cette espèce. On assure que les lièvres des Alpes sont blancs pendant qu’elles sont couvertes de neige, et qu’après ils redeviennent gris comme les autres, ce que j’ai peine à croire. Ceux qui sont blancs ont acquis cette couleur dans le sein de leur mère, à la vue de la blancheur de la neige dont la mère a été frappée, de même que les lapins prennent la couleur que l’on montre à leur mère dans le temps qu’elle conçoit. Les Hébreux regardent le lièvre comme un animal impur ; peut-être parce qu’en Palestine il est sujet à la gale et à la lèpre comme le renard. Quelques médecins croient que la chair de cet animal est sèche et mélancolique, qu’elle cause des obstructions au foie et à la rate, qu’elle nuit aux poumons, et empêche de dormir. Les Romains au contraire en faisaient grand cas.

Inter quadrupedes gloria prima lepus.

Moïse (Lévitique 11.6) le range parmi les animaux immondes, quoiqu’il rumine, dit-il ; mais parce qu’il n’a pas le pied fendu en deux. Il a le pied fendu en piusieurs ongles, ou espèces de doigts ; ce qui seul suffisait pour le faire déclarer impur. On est persuadé aujourd’hui que le lièvre ne rumine pas : mais apparemment que l’on croyait le contraire du temps de Moïse ; car les naturalistes conviennent qu’il ne rumine point, et on ne connaît aucun auteur, hors Moïse, qui ait écrit qu’il rumine. Seulement Aristote a remarqué que le lièvre a cela de commun avec les animaux ruminants, que l’on trouve du caillé dans son estomac. Le pape Zacharie, dans son Épître à saint Boniface, archevêque de Mayence, exhorte les chrétiens à s’abstenir de la chair de lièvre. Au reste, les interprètes ne sont point partagés sur la signification de l’hébreu arnebeth. Ils conviennent qu’il signifie le lièvre.

« Il n’y a point de doute, dit Scheuchzer (Physique sacrée, sur Lévit., 11.6), que le mot arnebeth ne signifie le lièvre. Les Hébreux et tous les interprètes, tant anciens que modernes, sont d’accord là-dessus. Les Arabes d’aujourd’hui appellent encore cet animal arneb, erneb, eraneb (Meninzk. Lexie. 151, 3144). Nous avons encore les autorités des fables de Locman, et celle d’Avicenne, de Demis et d’Abenbitar. La seule difficulté qui se trouve dans cette interprétation, c’est que les Septante ont traduit arnebeth par un mot qui est un animal dont Aristote et Pline semblent avoir fait une description différente de celle du lièvre. Je dis qu’ils semblent y mettre de la différence, car, à regarder la chose de plus près, l’on voit assez par ces auteurs mêmes, par plusieurs autres et par tous les lexicographes, que ce mot est la même chose que le lièvre. C’est ce que Bochart démontre par plusieurs bonnes raisons. Outre cela il est certain que les Juifs ont toujours eu de l’aversion pour la chair de lièvre, comme on peut le voir dans Plutarque : Quelques-uns disent que ces gens (les Juifs) ne mangent point de lièvre, parce qu’ils le regardent comme un animal souillé et impur.

Quant à ce que dit Moïse, que le lièvre rumine, nous n’en avons point d’autres témoignages parmi les anciens. Au contraire plusieurs en doutent, et il y eu a même qui le nient tout à fait. De là vient que l’on a corrompu la version grecque, et qu’au lieu d’un mot un autre a été mis. Cependant les meilleurs exemplaires ne portent point cette négation. Ce qui pourrait faire croire que le lièvre ne rumine pas, c’est qu’il n’a qu’un ventricule, aussi bien que le lapin. Mais nous avons remarqué, en parlant du lapin, qu’un animal peut ruminer, quoiqu’il n’ait qu’un ventricule [Voyez Lapin] ; et même que dans ces deux animaux le ventricule est plutôt double que simple, ou du moins qu’il est distingué par une soupape membraneuse et assez élevée. Peyerus fait à son ordinaire une description fort exacte de ce ventricule. Une autre marque de la rumination du lièvre est la présure que l’on trouve dans son estomac, aussi bien que dans les autres animaux ruminants, et dont parle Aristote (Histoire lib. 3 chapitre 22). »

Voici les paroles d’Aristote : Tous les ruminants ont un coagulum ; et, parmi les rongeurs, le lièvre jouit de la mêne propriété.

Voilà ce que j’ai trouvé de mieux en faveur de l’opinion qui range le lièvre et le lapin parmi les animaux ruminants.

Sonnini (Nouv. Dict natur. ; Paris, Déterville, 1803) résume l’opinion contraire en ces termes : « Dans la loi de Moïse le lièvre est mis au nombre des animaux qui ruminent. Cependant, quoique plusieurs écrivains aient adopté l’opinion du législateur des Hébreux, si toutefois il n’y a pas quelque altération dans cet endroit de ses ouvrages, ainsi que le soupçonne Scheuchzer, aucune observation ne l’a confirmée, et des érudits ont fait de vains efforts pour la justifier. L’analogie, fondée sur des remarques précises et certaines, démontre que le lièvre n’ayant qu’un seul estomac, qui, bien qu’à peu près divisé intérieurement dans sa petite courbure en deux parties, l’une droite et l’autre gauche, par un repli ou rebord, n’en a pas moins une cavité unique, tandis que tous les animaux ruminants ont plusieurs estomacs réellement distincts ; l’analogie démontre, dis-je, que le lièvre est absolument privé de la faculté de ruminer. Ce qui a pu donner lieu au sentiment contraire, est, 1° l’estomac, qui, ainsi que je viens de le dire, paraît double au premier coup d’œil ; 2° l’ampleur du caecum, que des anatomistes ont regardé comme tenant lieu d’un second estomac, où s’achève la chylification, quoique, dans le vrai, il contienne une humeur moins digérée que celle de l’estomac même ; 3° l’habitude qu’ont les lièvres de remuer souvent le nez et les lèvres, ce qui leur donne l’apparence d’être occupés à mâcher des aliments ou à ruminer ; mais ce mouvement est tout à fait extérieur, et les mâchoires n’y participent point. » Tout ce que Sonnini vient de dire du lièvre, il le dit aussi du lapin.

On voit que, tout en affirmant que les lièvres et les lapins ne ruminent pas, Sonnini convient que ces animaux n’ont pas l’estomac fait comme celui des animaux qui ne ruminent pas. Quant au caecum considéré comme faisant les fonctions d’un second estomac, Scheuchzer lui-même réfute les anatomistes qui ont eu cette opinion. Mais pourquoi cette différence entre l’estomac des lièvres et celui des animaux qui ne ruminent pas ? Sonnini ne l’explique point. Elle a sûrement une fin : n’a-t-elle point aussi porté Aristote à classer le lièvre parmi les ruminants ? et ce coagulum dont il parle ; qu’en faut-il penser ?

Nous venons d’entendre deux naturalistes ; ils ont parlé le langage de la science et de l’observation, et cependant l’opinion de l’un est diamétralement opposée à celle de l’autre. Voici maintenant M. Glaire, qui n’est pas naturaliste, et qui, s’appuyant sur Aristote et Bartholin, se prononce hardiment pour la rumination du lièvre :

« L’arnebeth, dit-il (Introd aux livres saints, tome 2 pages 93) est incontestablement le lièvre. On a objecté, il est vrai, que le lièvre ne rumine pas ; mais il est facile (facile !) de détruire cette objection en faisant observer qu’Aristote semble ranger le lièvre parmi les animaux ruminants, à cause que l’on trouve dans son estomac le caillé (coagulum) qui ne se rencontre que dans les animaux qui ruminent. Bartholin (Anatom hist cent. 2 hist. 86) assure aussi que là conformation extraordinaire de l’intestin ccecum supplée en quelque manière dans le lièvre au double estomac nécessaire à la rumination. Mais il est inutile de nous appesantir davantage sur un fait aussi constant. »

L’exercice de la rumination chez le lièvre n’est un fait constant que pour M. Glaire, qui n’a probablement jamais eu occasion de l’observer. Sonnini a eu longtemps dans sa maison un lièvre qu’il pouvait observer à son gré, et pourtant Sonnini soutient que cet animal ne rumine pas. Mais je ne m’en rapporte ni à M. Glaire ni à Sonnini ; ce dernier avait décidé que la licorne était un animal fabuleux, et il semble que les savants ne peuvent maintenant se refuser à admettre l’existence de la licorne. Voyez Licorne. Il est étrange qu’on ne sache point à quoi s’en tenir sur la question relative au lièvre, s’il rumine ou s’il ne rumine pas. Bullet (Rép crit., tome Ill, pages 93) rappelle que Moïse avait été instruit dans toutes les sciences de l’Égypte, et il dit : « Peut-on donc penser qu’il ait ignoré que le lièvre, extrêmement commun en Égypte, ne ruminait point, si la chose était ainsi ? » Mais cet animal est assez commun en France et ailleurs, comme il l’est encore en Égypte ; dans quel pays est-il reconnu pour ruminant ? Je n’ose dire que l’arnebeth n’est peut-être pas le lièvre, comme j’ai pu dire que le saphan n’est pas le lapin ; cependant le doute m’est permis, et je doute un peu].

Ligure