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Marthe
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet
Westphal Bost

Sœur de Lazare et de Marie, et hôtesse de Jésus-Christ dans le bourg de Béthanie. Nous en avons déjà parlé dans les articles de Lazare et de Marie, sa sœur.

Marthe est toujours nommée avant Marie, ce qui fait juger qu’elle était l’ainée. Un jour, le Sauveur étant venu loger chez Marthe et Marie, Marthe s’empressait à lui préparer à manger, pendant que Marie, assise aux pieds de Jésus-Christ, écoutait en paix sa parole (Luc 10.38-43). Marthe s’en plaignit au Sauveur, et lui dit que Marie, sa sœur, lui laissait tout faire : et elle le pria de lui dire de l’aider ; mais Jésus lui répondit : Marthe, Marthe, vous vous empressez, et vous vous troublez, pour préparer bien des choses ; une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas ôtée.

Quelque temps après, Lazare étant tombé malade, les deux sœurs en donnèrent avis à Jésus, qui était alors au delà du Jourdain (Jean 11.45). Il ne se hâta pas de l’aller guérir. Il ne partit que quand Lazare fut mort. Étant arrivé près de Béthanie, Marthe, qui sut son arrivée, alla au-devant de lui, et lui dit : Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort. Jésus lui répondit : Votre frère ressuscitera. Marthe répliqua : Je sais qu’il ressuscitera au dernier jour. Mais Jésus lui dit : Je suis la résurrection et la vie ; quiconque croit en moi, quand il serait mort, il revivra ; et quiconque vit et croit en moi, ne mourra pas pour toujours. Croyez-vous cela ? Oui, Seigneur, répondit-elle ; je crois que vous êtes le Christ, le Fils de Dieu, qui êtes venu en ce monde. Ayant dit cela, elle alla avertir secrètement sa sœur que Jésus était arrivé. Marie, sans rien dire à ceux qui étaient auprès d’elle, se leva et alla trouver Jésus. Elle lui dit, comme avait déjà fait Marthe, que s’il eût été là, Lazare ne serait pas mort. Jésus se fit conduire au tombeau de Lazare, et le ressuscita, comme on l’a dit ailleurs.

Six jours avant la Passion, Jésus, étant venu à Béthanie pour la fête de Pâque, fut invité à manger chez un pharisien nommé Simon le Lépreux (Jean 12.1-3 Matthieu 16.6 Marc 14.3). Marthe servait ; Lazare était l’un des conviés, et Marie répandit une boîte de parfum précieux sur la tête et sur les pieds de Jésus. Voilà tout ce que l’Écriture nous apprend de sainte Marthe. Les anciens Latins et les Grecs modernes tiennent qu’elle mourut à Jérusalem, aussi bien que Marie et Lazare, et qu’ils y furent enterrés. Plusieurs anciens martyrologes y mettent leur fête le 19 de janvier. D’autres la mettent au 17 de décembre. Aujourd’hui les Latins la font le 29 de juillet. Quelques monuments peu certains portent que sainte Marthe, ayant été mise avec Lazare et Marie, et Marcelle, leur servante sur un vaisseau demi-ruiné, arriva à Marseille, d’où sainte Marthe se retira à Tarascon en Provence, où l’on trouva, dit-on, son corps en 1187 [Il ne sera pas inutile de rapporter ici un résumé des traditions populaires qui existent dans la Provence au sujet de la famille de Lazare.

« Lorsque le diacre Étienne, dit Ed de Bazelaire (Université catholique, tome 9 pages 196-198), eut ouvert par sa mort, cette longue chaîne de martyrs qui donnèrent leur vie, en témoignage de leur croyance, il se fit une grande persécution dans l’Église de Jérusalem, et tous ceux qui avaient ajouté foi à la parole du Christ et de ses apôtres furent proscrits, dispersés dans les régions voisines, où ils évangélisaient les peuples en passant parmi eux. Les Juifs déversèrent spécialement leur fureur sur ceux que l’on avait vus suivre le Sauveur, sur ses parents et ses amis : ils jetèrent, dans une mauvaise barque, sans voiles ni gouvernail, et livrée à la merci des flots, Lazare, sur qui Jésus avait pleuré, et qu’il avait tiré du tombeau ; Marie, qui s’agenouillait à ses pieds pour l’écouter, tandis que Marthe, sa sœur, s’occupait à le bien recevoir ; Marie Cléophas, et cette autre Marie, mère du disciple chéri ; Simon ; Chélidoine, l’aveugle-né ; enfin, Madeleine la pécheresse, qui arrosait de parfums et de larmes les pieds du Seigneur. La barque, guidée par le souffle de Dieu, qui creusait devant elle le sillon de la mer, vint toucher le rivage massaliote, dans le delta du Rhône, au lieu où est aujourd’hui cette petite ville des Saintes-Maries, si solitaire et si poétique en son isolement, au milieu des étangs salés et des marais de la Camargue. La sainte colonie, descendue sur le sable, s’agenouilla près du puits que l’on voit encore, offrit, sur son autel de limon, comme autrefois Noé, le sacrifice de la reconnaissance, en chantant au Seigneur des chants encore inconnus à ces rivages ; puis les merveilleux missionnaires se répandirent sur les lieux voisins pour prêcher l’Évangile. N’est-ce pas chose touchante, ce frêle esquif miraculeusement apporté par les flots, ce nom du Christ prononcé pour la première fois sur la rive phocéenne, et cette primitive Église naissant sous le manteau de quelques exilés !

Lazare gagna Marseille, annonça la foi nouvelle aux fils de ces Grecs qu’un autre vaisseau avait, six cents années avant, conduits providentiellement aussi à la conquête du rivage ; il fit de nombreux prosélytes, changea en une église chrétienne le temple de Diane, sur l’emplacement duquel est aujourd’hui la Majour, et mourut martyr. Maximin alla prêcher dans la colonie des eaux sextiennes, et en fut évêque. Les deux Marie demeurèrent dans la ville qui porte leur nom ; Madeleine quitta la grotte sur laquelle s’éleva plus tard la célèbre abbaye de Saint-Victor, pour aller chercher plus de solitude et de repentir au désert de la Baume, dans une gorge triste et noire, où l’on respire une ineffable et sublime mélancolie. Que de pieux pèlerins vinrent, au moyen âge, prier et gémir en ce lieu qu’une vieille tradition avait consacré au repentir ! On y vit des rois s’agenouiller, et des reines baiser le roc arrosé par les larmes de la pénitence et de l’autour ; précieuses larmes dont les sources rafraîchissantes semblent taries pour nous, qui ne connaissons plus que les pleurs stériles de la douleur !

Louis XIV y voulut montrer sa gloire ; saint Louis y avait été prier. « Après ces choses, dit Joinville, le roi s’en vint en la ville d’Aix, parce qu’il voulait aller visiter, la Madeleine, qui gisait à une journée de là ; et y fut le roi, et visita le lieu qui est appelé la Basme, qui est un haut rocher ou la Madeleine, comme on disait, avait vécu long espace de temps en ermitage. »

Marthe, l’hôtesse du Sauveur à Béthanie, remonta le Rhône, accompagnée de sa sœur Marie, et arriva à Tarascon. Un monstre, d’une forme horrible, sorte de tortue-dragon, désolait le pays : le peuple en larmes se prosterne aux pieds de la jeune vierge, et Marthe, jetant son écharpe au cou du serpent, le conduit docile et vaincu sur le bûcher. Ce fut en mémoire de cet événement, transmis par les récits populaires, que le bon roi René, qui tant aimait les jeux et les processions chevaleresques, institua les fêtes que l’on célèbre tous les ans à Tarascon. Le jour de sainte Marthe, une copie en bois de la monstrueuse tarasque, avec une queue sans fin et une tête effrayante, est promenée dans la ville, au milieu du clergé, conduite en laisse par une jeune fille ; cette fête est purement religieuse ; l’autre, burlesque et joyeuse, où éclate dans toute sa frénésie la gaieté des Provençaux. Le lendemain de la Pentecôte, la tarasque est traînée dans les rues, environnée de chevaliers du quinzième siècle ; des fusées partent des yeux et des naseaux du monstre ; un homme, placé dans l’intérieur, fait manœuvrer une mâchoire effrayante, ou lance la béte sur les groupes de spectateurs, ou la fait pirouetter de manière que sa queue balaye la foule ; la fête n’est pas complète s’il n’y a pas quelques jambes cassées.

Il est facile de voir en cette légende un symbole de la défaite du paganisme et de la victoire, clémente et douce, des dogmes chrétiens représentés par la blanche jeune fille. Dans l’enfance des peuples, en ces âges de primitive foi et de naïve poésie, toute idée prend un corps et se traduit en allégories sensibles, figurées. Le mythe du serpent est d’ailleurs de la plus haute antiquité. Partout et toujours, depuis l’anathème prononcé sur lui dans l’Éden, il a été la personnification du mal, de la ruse, de l’erreur, et chargé de toutes les iniquités de la terre. Sans rappeler les fables de l’Orient et les traditions juives, je citerai, pour leur analogie avec la tarasque, le serpent de Saint-Marcel et le monstre de la Bièvre à Paris, la gargouille de Rouen, le grouilli de Metz, le monstre de Saint-Pol-de-Léon, le lézard de Varèse en Italie, les dragons d’Aix, de Grenoble, du Mans, de Poitiers, de Bordeaux, et cette terasque de Lima, que les Espagnols mènent en procession, au Pérou, le jour de Saint-François d’Assises. Tous ces monstres symboliques ont été, comme l’hydre provençale, vaincus et enchaînés par des missionnaires : à Metz, par l’étole pastorale de saint Clément ; à Rouen, par saint Romain ; à Paris, par saint Marcel ; mais la jeune fille de Tarascon est plus poétique ; on sent là le ciel de Provence.

Cette tradition des Églises du Midi y est encore vivace et populaire. Si l’on ne faisait que compter les autorités, la majorité des citations serait en faveur de sa réalité historique mais aucun des écrivains des premiers siècles, tels que Salvien, Cassien, Victor de Marseille, Césaire d’Arles, n’en a parlé, et sa bizarrerie exigerait sans doute qu’elle produisît de solides témoignages. Ce qui est certain, c’est que du onzième siècle, époque où l’on crut trouver les reliques de Lazare, de Marthe et de Madeleine, jusqu’au dix-septième siècle, époque où la critique commença à épurer les légendes, on y a ajouté foi. Le premier historien qui l’attaqua fut Launoy, surnommé Dénicheur de saints. Le curé de Saint-Roch disait en plaisantant : Je lui fais toujours de profondes révérences, dans la crainte qu’il ne m’enlève mon saint.

Si l’on rejette comme une fable pieuse la légende que je viens de rapporter, il ne faut pas non plus en attribuer l’invention aux moines grecs, qui abondaient en Provence au dixième siècle. Ce ne sont pas là, je crois, des choses que l’on puisse inventer, et les moines, en les écrivant, n’ont fait que transcrire les récits accrédités dans le peuple et profondément enracinés dans ses croyances. Un sentiment d’immense vénération a dû environner la mémoire des premiers missionnaires ; peu à peu leurs noms se sont confondus avec leurs récits et les symboles de leur doctrine, et ils sont devenus eux-mêmes, dans l’imagination des croyants, les personnages dont ils avaient raconté les travaux et la mort. Les religieux ne furent que les échos de la tradition. Si l’on voulait absolument leur en faire honneur, il faudrait du moins reconnaître à ces moines ignorants, du plus barbare de tous les siècles un fonds passable de poésie. » [L’auteur de ce morceau ajoute : « Après la fable, voici l’histoire ; » et il rapporte l’histoire de l’introduction du christianisme dans les Gaules. Voyez Gaules].