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C’est par ces mots (ou par le mot moins exact de « sépulcre ») que nos versions françaises de l’Ancien Testament traduisent le terme hébreu de « cheôl », qui désignait le séjour souterrain des trépassés.
Les Israélites ont toujours cru à la survie, mais cette croyance, comme beaucoup d’autres, a évolué au cours de l’histoire. Il faut distinguer deux périodes dans cette évolution.
I. — Jusque vers l’époque de l’exil, les idées des Hébreux relatives à la survivance de la personnalité humaine après la mort se présentent à nous avec tous les caractères de croyances animistes. D’après celles-ci, tout être vivant possède un « double », qui n’est pas précisément ce que nous appelons une « âme », car le double garde après la mort, sinon un corps, du moins la forme du corps qui a été enseveli, les traits de son visage, l’apparence exacte qu’il avait à l’époque de sa mort. Ce n’est ni un corps ni une âme : c’est une ombre. Quand le roi Saül, effrayé par la puissance de l’ennemi philistin, se décide à consulter « une femme qui évoque les morts » et va trouver celle qui habite En-Don, il lui dit : « Fais-moi monter Samuel », et Samuel apparaît à la femme comme « un vieillard qui monte, enveloppé d’un manteau ». Et Saül, d’après la description qui lui est faite du mort, reconnaît Samuel (1Sa 28.4-25). C’est avec ses, cheveux blancs, que le vieillard, pense-t-on, descend au séjour des morts (Ge 42.38 ; 1Ro 2.6 et 9).
Il est difficile de se rendre compte du rapport que cette croyance établissait entre la sépulture proprement dite, où le mort repose dans l’isolement, et la « demeure des morts », où il rejoint l’immense communauté des trépassés. Une relation quelconque entre ces deux notions semble cependant être impliquée par le fait que les anciens Hébreux attachaient une extrême importance à la sépulture elle-même, où il paraît évident que le mort était sensé subsister de quelque façon avec sa personnalité et mener, une sorte de suite à la vie terrestre, car c’était l’usage de déposer dans la tombe tout ce qu’on croyait. nécessaire au défunt, en particulier ses armes (Eze 32.27). Peut-être imaginait-on une communication entre le sépulcre et le « cheôl » souterrain. Toujours est-il que le mort n’est pas éloigné du lieu de sa sépulture puisqu’il « veille encore sur sa tombe » (Job 21.32) et n’est pas, assez séparé des humains pour se désintéresser de leur sort (Jer 31.15).
Etant semblables à des ombres, les morts ne jouissent, au « cheôl », que d’une vie diminuée, mais, à leur manière, ils y vivent cependant : quoique « sans forces », ils se meuvent et parlent (Esa 14.9) ; ils y conservent le souvenir de leur vie passée (1Sa 28.17) et même, en un certain sens, ils y gardent leur caractère social :les rois y sont encore des rois (Esa 14.9) ; les héros guerriers y sont toujours des héros (Ezékiel 32.21) et y portent, comme jadis, « leurs armes de guerre » (Eze 32.2) ; Pharaon y demeure Pharaon et ses sujets y demeurent ses sujets (Eze 32.32).
Mais un caractère essentiel de la vie présente disparaît dans le séjour des morts : les trépassés y sont à toujours séparés de leur Dieu. Cette triste persuasion explique la prière d’Ezéchias malade : que Yahvé prolonge sa vie et se conserve ainsi un fidèle adorateur, car « ce n’est pas le séjour des morts qui te loue, ce n’est pas la mort qui te célèbre ; ceux qui sont descendus dans la fosse n’espèrent plus en ta fidélité. Le vivant ! le vivant ! voilà celui qui te loue, comme je le fais aujourd’hui ! » (Esa 38.18,19). Yahvé règne sur Israël, sur la terre des vivants, mais non pas sur la demeure des morts.
Mais comme c’est un fait que la religion ne se limite jamais aux horizons terrestres et se préoccupe toujours, et souvent essentiellement, de la vie d’outre-tombe, on comprend que l’adoration d’un Dieu des seuls vivants n’ait pas suffi aux anciens Hébreux. Ceux-ci, dès qu’ils pensaient à la mort et à leurs morts, oubliaient donc, dans une certaine mesure, ce qu’on pourrait appeler la religion officielle et revenaient tout naturellement à cet antique culte des morts que l’on retrouve à l’origine de toutes les croyances primitives et que leurs ancêtres avaient si longtemps pratiqué avant eux. Ce culte s’est ainsi perpétué à côté du culte de Yahvé. Les morts, dans le « cheôl », sont des êtres divins, en quelque manière. La magicienne d’En-Bot, après avoir évoqué l’ombre de Samuel, dit à Saül : « Je vois un dieu qui monte de la terre » (1Sa 28.13). Si l’on évoquait les morts, comme on l’a fait en Israël jusqu’à une époque très tardive (Le 20.27), c’est bien qu’on leur attribuait une connaissance surnaturelle. Les coutumes du deuil (voir ce mot) conduisent celui qui les étudie à la même conclusion : la croyance populaire divinisait les trépassés.
Les prophètes luttèrent âprement contre ces conceptions et contre les usages qu’elles perpétuaient : « Si l’on vous dit Consultez ceux qui évoquent les morts et ceux qui prédisent l’avenir, qui poussent des sifflements et des soupirs, répondez Un peuple ne consultera-t-il pas son Dieu ? S’adressera-t-il aux morts en faveur des vivants » (Esa 8.19 ; comparez : 2Ro 21.6 ; Deutéronome 18.11 ; 2Ro 23.24 ; Le 19.31 ; 20.6 et 27) ?
II. — Les résultats de cette lutte des prophètes contre tout ce qui rappelait le culte des morts se firent sentir graduellement et apparaissent aux yeux du lecteur attentif de la Bible quand il passe des écrits qui précèdent l’exil à ceux qui le suivent.
Nous voyons d’abord, particulièrement dans le livre des Psaumes, se perpétuer l’idée que Yahvé n’a rien à faire avec la demeure des morts. Les trépassés ne sont plus ses adorateurs : « Celui qui meurt n’a plus ton souvenir. Qui te louera dans le séjour des morts (Psaumes 6.6) ? Ce ne sont pas les morts qui célèbrent Yahvé, ce m’est aucun de ceux qui descendent dans le lieu du silence (Psaumes 115.17). Parle-t-on de ta bonté dans le sépulcre et de ta fidélité dans l’abîme » (Psaumes 88.11-12) ? Et la réciproque est vraie. Dieu ne s’occupe pas plus des morts que les morts de lui : les trépassés sont « ceux dont tu n’as plus le souvenir et qui sont séparés de ta main (Psaumes 88.6) ; est-ce pour eux que tu fais des miracles » (Ps 88.11) ?
Mais, non content de séparer la religion de Yahvé de tout ce qui rappelle le culte des morts, le prophétisme, pour rendre ce culte de plus en plus inconcevable aux esprits qu’il veut convaincre, s’attache à assimiler, autant que possible, au néant, la condition des morts dans le « cheôl ». L’anéantissement à peu près total de la conscience des trépassés nous apparaît ainsi comme une idée indiscutée dans les livres de Job et de l’Ecclésiaste. La mort est un sommeil dont on ne se réveille pas (Job 3.11-19 ; 14.7-12). « Un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort, car les vivants savent qu’ils mourront, mais les morts ne savent rien et il n’y a plus, pour eux, de salaire..., il n’y a ni œuvre, ni pensée, ni science, ni sagesse dans le séjour des morts, où tu vas » (Ecc 9.4, 5, 11).
C’est tout au plus si nous trouvons ici et là, dans cette période de la pensée religieuse des Israélites, quelques textes isolés où semble poindre une aspiration vers une espérance d’immortalité « Oh ! si tu voulais me cacher dans le séjour des morts, m’y tenir à couvert jusqu’à ce que ta colère fût passée et fixer un terme où tu te souviendrais de moi ! Si l’homme, une fois mort, pouvait revivre, j’aurais de l’espoir tout le temps de mes souffrances, jusqu’à ce que mon état vînt à changer » (Job 14.13-14). Plus affirmatif est le chantre du Psaume 73 : « Tu me conduiras par ton conseil, puis tu me recevras dans ta gloire » (Psaumes 73.24). Mais ces intuitions, extraordinairement rares, sont loin de constituer une ferme espérance de la religion prophétique elle-même : elles apparaissent chez quelques individualités seulement comme l’annonce lointaine d’une religion plus consolante.
La religion en vigueur, la religion prophétique qui lutte contre les vieilles superstitions, persiste à combattre l’instinct profond qu’elles expriment et aboutit à ce résultat surprenant d’éliminer, pour autant qu’elle le peut, toute croyance à la survivance réelle des individus. Il est difficile de dire dans quelle mesure elle a réussi à exterminer dans le peuple la vieille croyance à une « demeure des morts ». Et il nous est impossible de spécifier ce qu’il pouvait subsister de cette croyance à l’époque où, lentement, la religion prophétique faisait place au judaïsme ; mais nous constatons qu’il faudra attendre jusqu’aux environs du IIe siècle avant Jésus-Christ pour voir une nouvelle conception de la vie future remplacer, en Israël, l’antique notion du « cheôl ». Mais alors, ce sera une espérance toute nouvelle qui illuminera la religion : celle de la résurrection. Certains esprits y demeureront fermés (voir : Sadducéens) ; mais le peuple l’accueillera comme une grande lumière et le christianisme la répandra dans le monde entier avec l’Evangile.