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Depuis l’époque de leur établissement dans le pays de Canaan et jusqu’à la réforme de Josias, en 622, les Israélites, adoptant les coutumes du pays conquis, eurent des sanctuaires nombreux. Ces lieux de culte coïncidaient le plus souvent avec l’emplacement d’un objet sacré, tantôt, une pierre (à Béthel : Ge 28 ; à Ophra : Juges 6 ; à Beth-Schémesch : 1Sa 5.14 ; à Sichem : Josué 24.26), tantôt un arbre (chêne Ge 13.6 ; térébinthe : Ge 35.4 ; Josué 24.26 ; tamarisc : Ge 21.33 ; etc.), tantôt une colline (Carmel, Thabor, Ebal, Garizim, Morija, Sion, etc.). Les sanctuaires établis sur des hauteurs étaient si nombreux que le nom de haut-lieu, qui les désigne, devint synonyme de lieu-saint.
L’objet sacré fut quelquefois, par la suite, plus ou moins façonné ou entièrement fabriqué (pierre, bois ou métal fondu). Nos versions françaises de la Bible rendent les noms hébreux qui désignent certains de ces objets manufacturés par ceux de monument (Esa 19.19), d’idole (Juges 6.25), de statue (Os 10.1), ou transcrivent le terme hébreu lui-même : éphod, teraphim (Os 3.4 ; voyez ces mots). L’objet sacré n’était pas considéré comme la divinité même, mais comme l’indice palpable de sa présence, comme son habitation ; ainsi, Béthel signifie maison de dieu, et le nom s’appliqua d’abord à la pierre même dressée par Jacob (Ge 28), avant de désigner le sanctuaire. Cet exemple de Béthel, auquel plusieurs autres pourraient être ajoutés, nous montre que les sanctuaires étaient établis sur les emplacements où Yahvé, d’après la tradition, s’était manifesté par une apparition, par un songe, par une victoire.
Le culte pratiqué dans ce sanctuaire primitif est très simple. L’objet sacré reçoit directement le sacrifice (voir ce mot), comme nous le remarquons, par exemple, dans le récit du songe de Jacob. Plus tard, quand, aux simples offrandes d’huile ou de sang, dont il suffisait d’oindre l’arbre ou la pierre, on ajouta des sacrifices où la chair de la victime devait être brûlée, il fallut établir, dans les sanctuaires, des autels proprement dits, de dimensions et de forme convenables.
Avant de se présenter au sanctuaire, c’est-à-dire devant son Dieu, l’Israélite devait prendre certaines précautions pour que le voisinage de la divinité ne lui fût pas funeste (Ex 19.21-22) il devait pratiquer certaines ablutions (voyez ce mot), laver ses vêtements ou les changer. C’est ce qu’on appelait se purifier ou se sanctifier (voyez : sainteté). L’adorateur ne pénétrait pas dans le lieu saint sans s’être déchaussé (Ex 3.5 ; Josué 5.15). La plupart de ces coutumes religieuses étaient trop profondément enracinées dans une immémoriale tradition pour que la réforme du culte pût les abolir (Eze 44.19). Plusieurs d’entre elles durèrent aussi longtemps que la nation elle-même.
Le sanctuaire primitif ne comportait pas d’édifice sacré, car les objets du culte n’avaient pas besoin d’être protégés contre les intempéries. L’apparition des temples coïncida, sans doute, avec celle d’objets plus fragiles ou plus précieux qu’il fallut abriter et surveiller. L’Ephraïmite, Mica, « avait une maison de Dieu » pour ses images saintes (Juges 17.1-5). La ville de Silo était célèbre, au temps des Juges par sa « maison de Yahvé » (1Sa 1), qui était la demeure de l’arche (1Sa 3.3 ; voyez ce mot). Par analogie avec les sanctuaires cananéens de ce genre que les fouilles opérées en Palestine ont mis au jour, on peut supposer que ces édifices étaient très simples et fort exigus.
Salomon ne fit donc rien d’absolument nouveau en construisant un temple à Jérusalem (au Xe siècle avant Jésus-Christ). La célébrité unique de cet édifice s’explique par les deux faits suivants : c’est qu’il dépassait en splendeur tous les temples anciens et qu’il était le sanctuaire destiné, dans l’avenir, à supplanter tous les autres. Mais il est absolument certain qu’en le faisant construire Salomon ne songea pas un instant à le substituer aux sanctuaires anciens (Béthel, Sichem, Dan, Gabaon, etc.), qui subsistèrent pendant des siècles. On trouve la description du temple de Salomon au 1er livre des Rois, ch. 6. (1Ro 6) Le plan général de l’édifice comprenait, semble-t-il : 1° une pièce relativement exiguë, de forme cubique, appelée plus tard « le lieu Très Saint » et qui était considérée comme la demeure de Yahvé ; 2° une pièce plus grande, contiguë à la première : c’était le « lieu saint », où se trouvaient divers objets sacrés. Les laïcs, à tout le moins le roi, étaient anciennement autorisés à y pénétrer ; enfin 3°, devant l’édifice, l’autel, dans la cour où le peuple assistait aux sacrifices.
Ce temple de Jérusalem, d’abord simple « chapelle royale », plus luxueux, mais moins populaire que d’autres, devait cependant avoir, après environ trois siècles et demi, une destinée unique. La prédication des prophètes amena le jeune roi Josias, en 622, à entreprendre la réforme du culte. Les plus hardis parmi les prophètes, Amos (Am 5.21-27), Osée (Os 6.6 ; 8.11), n’auraient pas reculé devant l’abolition du culte sacrificiel entier, qu’ils jugeaient idolâtre ; mais ni la royauté, ni le clergé, ni le peuple n’étaient mûrs pour « le culte en esprit et en vérité », et la réforme ne fut qu’un compromis entre la prédication prophétique et la tradition religieuse.
Le résultat essentiel que l’on obtint fut la suppression de tous les temples et de tous les hauts-lieux du territoire, à l’exception du seul sanctuaire royal, et, par suite, la centralisation du culte à Jérusalem. C’était déjà là un dangereux bouleversement de la religion des ancêtres qui, malgré son paganisme incontestable, avait du moins l’avantage immense d’être étroitement unie à la vie quotidienne et qui, sous la forme nouvelle qu’on lui imposa, s’éloigna de l’individu et se figea dans une forme de plus en plus nationale et cléricale. En outre, un culte national concentré tout entier en un même lieu devenait singulièrement vulnérable. Porter un coup à Jérusalem, c’était, désormais, menacer la religion elle-même. Quatre fois, à notre connaissance, cette menace fut suspendue sur le peuple d’Israël : quatre fois le temple fut mis au pillage par divers ennemis, avant d’être détruit de fond en comble par les Babyloniens, en 586 (1Ro 4.26 ; 2Ch 21.16 ; 2Ro 14.14 ; 24.13 ; 25.8-10 ; Jer 52.12-14). Une fois le temple rasé et le peuple privé de culte, la religion même d’Israël aurait disparu dans la tourmente de la déportation si les prophètes n’avaient été là pour continuer leur oeuvre dans l’exil.
L’exil fut relativement court: en 538, Cyrus détruisit l’empire babylonien et autorisa les Juifs à retourner dans leur patrie. Ils ne tardèrent pas, au milieu de mille difficultés, à entreprendre la reconstruction du temple. Le souvenir de l’ancien sanctuaire les avait poursuivis dans l’exil (Lam 2.6-7 ; 4.1 ; Eze 24.21 ; Esa 44.28 ; 64.10) ; la vision d’un temple nouveau les avait réconfortés (Eze 40-43). Leur premier effort de restauration devait être le rétablissement du culte. Cette grande entreprise ne fût menée à bonne fin que vers l’an 515. Au cours des siècles qui suivirent, le temple fut sans doute remanié ou agrandi à plusieurs reprises, mais aucune de ces transformations n’égala en importance celle qui fut inaugurée par Hérode le Grand, en l’an 19 avant J.-C., et achevée par Agrippa II en l’an 64 après J. C. Les travaux n’étaient donc pas entièrement terminés du temps de Jésus, et six ans après qu’on y eut mis la dernière main, le temple fut détruit de nouveau, entièrement et pour toujours, par les Romains (an 70).
C’est ce temple d’Hérode que Jésus et ses disciples apercevaient, dominant la ville comme une forteresse, quand ils arrivaient à Jérusalem par le chemin du Mont des Oliviers. Le meilleur emplacement pour l’apercevoir dans son ensemble était celui-là : on voyait l’énorme mur de défense qui l’entourait entièrement et l’on pouvait distinguer, à l’intérieur, une suite d’enceintes successives séparant entre elles des cours en terrasses de plus en plus élevées, communiquant par des escaliers : c’étaient les parvis, parvis des païens, parvis des femmes, parvis des Israélites, parvis des prêtres ; il fallait les traverser les uns après les autres, en s’élevant chaque fois plus haut, pour arriver enfin au sanctuaire même, qui comprenait un vestibule monumental, le « lieu saint » et le « lieu très saint », et qui se distinguait de fort loin par les dorures dont il était couvert.
La première enceinte subsiste encore en partie ; on y voit ces pierres énormes qui excitaient l’admiration des disciples de Jésus (Marc 13.1) ; quelques-unes ont plus de six à sept mètres de longueur. Le premier parvis, appelé parvis des païens parce que l’entrée en était entièrement libre pour tous, y compris les étrangers, était une place publique, un champ de foire, un bazar, où s’installaient ces marchands de bétail pour sacrifices et ces changeurs que Jésus chassa (Marc 11.15-18, et parallèles). Le second parvis, celui des femmes, était ainsi appelé parce que les femmes ne pouvaient le dépasser, mais il était ouvert à tout Israélite. C’est dans cette cour-là que Paul fut accusé d’avoir laissé pénétrer avec lui ses compagnons grecs (Actes 21.28). C’est probablement là encore, près des portes d’entrée, qu’étaient placés les troncs qui recevaient les offrandes des fidèles et où Jésus vit une pauvre femme mettre sa « pite » (Marc 12.41). Le troisième parvis, celui des Israélites, était réservé aux hommes, le quatrième, aux prêtres c’est au centre de ce dernier, très vaste, que se dressait le temple proprement dit, devant la porte duquel, en plein air, se trouvait le grand autel des holocaustes.
Diverses salles couvertes étaient disposées autour du parvis des prêtres, l’une où on lavait les entrailles des victimes, l’antre où l’on salait les peaux, une troisième où étaient parqués les agneaux pour le sacrifice. Plus loin les anneaux où l’on attachait les bêtes pour les égorger, les tables de marbre où l’on déposait la chair, les colonnes où les quartiers de viande étaient suspendus pour être écorchés. Le Lieu Saint, comme on le voit, était entouré, au premier plan, par un véritable abattoir, au dernier plan par un véritable marché aux bestiaux.
Quand on compare l’Evangile à cette religion barbare et sanglante, on comprend la solennité prophétique et la divine allégresse de cette parole de Jésus « Il n’en restera pas pierre sur pierre ; tout sera renversé » (Marc, 13.2).
Il faut ajouter qu’au temps de Jésus le Temple n’a plus guère de prestige que pour le Juif arrivant à Jérusalem de loin. Depuis longtemps les Pharisiens (voyez ce mot) ont donné au peuple une autre religion, celle de la Loi, et d’autres lieux de culte, les Synagogues (voyez ce mot). Seul le Sadducéen (voir ce mot) se sent chez lui dans le Sanctuaire. Quand le Temple et les prêtres disparaîtront, le Judaïsme restera vivant parce qu’il vit déjà hors du Temple et loin du prêtre.