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Aucun terme du langage de la Bible ne nous offre un exemple plus frappant que celui de sainteté de l’évolution des idées religieuses d’Israël vers une plus haute spiritualité. — On sait ce que ce mot signifie dans l’Evangile, et c’est pourquoi il est si difficile au lecteur non averti de comprendre qu’il désignait tout autre chose pour l’Hébreu primitif. — Non seulement ce terme n’était nullement synonyme de perfection absolue, mais il n’exprimait même pas, à l’origine, une idée morale quelconque. Rien ne le montre mieux que ce fait extraordinaire pour nous c’est que sainteté et impureté fussent deux façons d’exprimer une même notion, celle d’un être ou d’une chose intangible et redoutable, en un mot, la notion de « tabou ». Il était interdit, par exemple, de manger de la chair de certains animaux que l’on appelait sacrés quand on voulait dire qu’il se trouvait en eux quelque sorte de puissance divine, mais que l’on appelait impurs quand on voulait indiquer qu’on ne pouvait les offrir en sacrifice à d’autres êtres divins. Ni l’un ni l’autre de ces termes, que l’on distinguait mal, n’impliquait le moindre jugement d’ordre moral, et c’est pourquoi ils pouvaient être à peu près synonymes, alors qu’ils sont, pour nous, contradictoires. — Est saint, en somme, pour l’Israélite, tout ce qui est divin et tout ce qui, comme tel, frappe l’être humain de cette sorte d’horreur religieuse que connaissaient bien les primitifs. Saint et divin sont donc des termes équivalents et expriment l’idée d’un être ou d’une chose dépassant la nature humaine et, par là, redoutable, inviolable ou même mortelle pour l’homme qui s’en approche. — Soixante-dix habitants de Bét-chèmèch périssent pour avoir regardé l’arche (voyez ce mot) et les gens de l’endroit s’écrient : « Qui peut subsister en présence de Yahvé, ce Dieu saint » (1Sa 19.21). Cette « sainteté » peut passer d’un objet ou d’un être à un autre, on pourrait presque dire qu’elle était considérée comme contagieuse : au temps d’Ezéchiel encore (Eze 44.19), il était prévu qu’à la reprise des cérémonies religieuses du Temple à Jérusalem, les prêtres, au sortir du parvis intérieur, où ils seront en contact avec les objets saints du culte ou avec la divinité elle-même, devront ôter les vêtements avec lesquels ils auront officié et en mettre d’autres « afin de ne pas sanctifier le peuple par leurs vêtements ». Quelque chose comme un fluide sacré et redoutable pouvait, pensait-on, s’attacher aux vêtements de ceux qui pénétraient dans le sanctuaire et, par eux, se communiquer dangereusement au dehors. Pourtant, il est désirable que l’adorateur puisse s’approcher de son Dieu, et il le fera, et pénétrera dans le sanctuaire, mais après avoir pris toutes les précautions indispensables à la fois pour que le sanctuaire ne soit pas souillé par des contacts avec le profane et pour que l’adorateur n’emporte avec lui rien du fluide divin. On dira alors qu’il s’est sanctifié, parce qu’il se sera lavé (voir ablutions) ou se sera habillé de vêtements sacrés pour le temps de son séjour dans le lieu saint. L’acte de quitter ses sandales avant d’y pénétrer avait la même signification (Ex 3.5 ; Josué 5.15). — En résumé, le concept de sainteté exprime la distance infinie que l’Israélite croit sentir entre l’humain et le divin, mais cette distance n’est pas conçue dès l’abord sous son aspect moral. Dire que Dieu est saint ne sera pas autre chose, pendant longtemps, qu’affirmer sa divinité glorieuse et redoutable (Esa 8.13 ; Ex 15.13-14 ; Esa 6.3). — Quand Esaïe insiste, comme aucun autre prophète ne le fit, ni avant ni après lui, sur la sainteté de Yahvé, le sentiment si puissant qui remplit son cœur est celui de l’abîme qui sépare l’homme de Dieu. Mais avec Esaïe, cette distance commence à se mesurer autrement que par le passé. Ce n’est plus par sa puissance seule ou par sa gloire seule que Dieu est infiniment élevé au-dessus ; de l’homme, c’est aussi par sa perfection morale : une nouvelle antithèse apparaît entre l’humain et le divin : celle du péché et de la justice. Du coup, le mot même de sainteté, sans perdre de longtemps encore la faculté d’exprimer les; vieilles conceptions païennes, prend une nouvelle signification. Les deux notions de sainteté et de divinité étant, d’ailleurs, comme nous l’avons indiqué, à peu près interchangeables, tout progrès dans la façon de concevoir Dieu entraînait un progrès correspondant de l’idée de sainteté. Dieu étant avant tout juste, sa sainteté devient, par là même, un attribut moral. Tout au plus doit-on dire, pour ne pas prêter à Esaïe ce qui n’appartient qu’à Jésus, que la notion de sainteté divine demeure encore, pour le prophète, assez étroitement liée à la notion, esthétique autant que morale, de majesté divine. — Avec Jésus, enfin, nous aboutissons au terme de cette évolution du concept de sainteté. L’Evangile abolit définitivement, pour ceux qui le reçoivent dans sa pureté originelle, toute trace de la vieille notion païenne d’un contraste, entre le profane et le sacré, et le remplace par le contraste entre le mal et le bien. La sainteté est désormais purement morale et spirituelle. Et la marque spéciale que l’Evangile imprime à cette idée, c’est que l’amour s’y joint à la justice et s’y confond avec elle.