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Perfection
Dictionnaire Biblique Westphal

Un instinct profond a, de tout temps, poussé l’homme à rechercher le mieux, à tendre vers un but qui le dépassait et, toujours, sa notion de la perfection a été fonction de sa notion de Dieu. L’âme grecque, qui avait plus d’une fois réalisé l’idéale beauté de l’art, a connu aussi la sublime inquiétude de la perfection morale. Platon enseignait que les Idées sont les types éternels sur le modèle desquels les choses particulières ont été faites : par la « réminiscence » l’homme en retrouve l’image en lui. À quelques nuances près, Aristote professait pareillement que la contemplation nous permet d’arriver jusqu’à Dieu, Principe de tout ce qui existe. Idéalisme, mais idéalisme mitigé : les philosophes grecs, parlant d’un Dieu qui reste étranger à notre vie, recommandent unanimement la « tempérance » (voir ce mot), vertu de subtile harmonie, sage compromis entre les nobles aspirations de l’âme et la nécessité de s’adapter à un monde soumis à la matière.

Moins spéculatif, le génie hébraïque se montre, dans la pratique, autrement absolu. Nous rencontrons constamment dans l’Ancien Testament des paroles qui nous élèvent bien au-dessus des éthiques humaines : « L’obéissance vaut mieux que les sacrifices » et « l’homme qui est maître de son cœur vaut mieux que celui qui prend des villes » (1 Samuel 15.22 ; Proverbes 16.32). Michée 6.8 nous donne dans une trilogie célèbre les caractéristiques d’une piété saine autant qu’elle est haute. Le second Ésaïe nous conduit jusqu’au seuil d’où l’on contemple la suprême splendeur de l’amour qui s’immole (Ésaïe 52.13-53.12). C’est dans le Pentateuque enfin (Deutéronome 6.5 ; Lévitique 19.18) que Jésus devait trouver les éléments du « Sommaire de la Loi » (cf. Deutéronome 30.6 ; Ésaïe 1.16; Joël 2.13 ; Jérémie 31.33). Chez des hommes à qui Dieu a parlé, un Abraham, un Joseph, un David et tant de prophètes, la Bible nous fait voir une sublimation constante des règles de conduite. Il faut noter que certaines des âmes les plus hautes de ces temps de préparation, Ruth la Moabite, par exemple, ou Urie le Héthien, étaient étrangères à la communauté d’Israël.

Comment expliquer qu’un abîme se découvre entre la conception juive de la Perfection et celle que Jésus nous a apportée ? Disons d’abord que le Dieu de l’Ancien Testament est le Dieu de l’histoire plus que le Dieu de la spéculation, un Dieu transcendant, « qui se cache » (Ésaïe 45.13), mais dont la volonté se révèle dans une Loi parfaite aux inéluctables sanctions. Ce Dieu étant le Dieu fidèle dont les voies sont justes et la Parole éprouvée (Deutéronome 32.4 ; 2 Samuel 22.31 ; Psaumes 18.30 ; Psaumes 19.7 Psaume 119), l’Ancien Testament n’aura pas un mot unique pour désigner la perfection, mais exhortera l’homme à marcher devant Dieu irréprochable et dans l’intégrité (Genèse 17.1 ; Deutéronome 18.13 ; Ésaïe 33.15 et suivant, Ézéchiel 18.5-9 ; Psaumes 15.2 ; Proverbes 2.21 et suivant, 2 Chroniques 15.17, etc.). Qu’on tienne compte maintenant de l’influence qu’ont pu exercer sur les âmes le respect superstitieux de la tradition, le légalisme étroit, l’orgueil national, et on comprendra (voir les ouvrages spéciaux de Stapfer, Edersheim, Dalman) qu’on puisse donner cette triple caractéristique de la piété juive aux jours du Christ : souci tout négatif de ne transgresser aucune des innombrables prescriptions de la Loi, — formalisme qui ne se préoccupait guère des dispositions intimes du cœur, — méconnaissance du commandement suprême qui est celui de l’amour.

Mais Jésus paraît, et voici la Lumière. Jésus se présentant devant les hommes leur ouvre des horizons au définitif éclat. « Tout est idéal dans l’Évangile », disait Ad. Monod sur son lit de mort. La perfection qu’il nous révèle et dont nous voudrions indiquer quelques traits n’est pas affaire de définition rationnelle. Seule la communion du Christ avec Dieu lui a permis d’en saisir la réalité. Cette communion nous sera toujours un mystère, et pourtant la seule récitation des Béatitudes ou de l’Oraison dominicale peut nous replacer dans l’atmosphère divine où vivait l’âme du Sauveur. Voir article Jésus-Christ, tome I, pages 637 SS.

C’est en Dieu, pour Jésus, que nous trouvons le type et la loi de toute perfection : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Matthieu 5.48). Quelle distance entre les pensées de Dieu et celles de l’homme ! Qu’importent nos prétentions, préjugés, vaines pratiques, quand il s’agit d’être des enfants de lumière capables de glorifier leur Père par leurs actes de tous les jours ! — La (Matthieu 5.45 ; Matthieu 16.23 ; Matthieu 5.16) perfection consiste moins à développer notre volonté qu’à connaître la volonté de Dieu, volonté inspirée d’un tel amour que Dieu ne distingue pas entre l’amour que nous lui vouons et celui qui nous porte vers les hommes, amour qui exige de nous un renversement de nos affections naturelles, impliqué autant par la « règle d’or » (Matthieu 7.12) que par le (sommaire de la loi » ; voir (Matthieu 22.37 ; Matthieu 22.40) Règle d’or, Loi. Loin d’enseigner aucun relativisme moral, Jésus demande aux siens d’intégrer l’idéal dans le réel, d’introduire de l’extraordinaire dans la vie la plus ordinaire. Être (Matthieu 5.47 ; Matthieu 23.3; Luc 16.10 ; Luc 10.25-37) vrai devant Dieu, ce n’est pas se contenter de paroles, c’est » faire », « mettre en pratique » (Matthieu 7.21 ; Matthieu 7.24 ; Marc 3.35 ; Jean 13.17) ; c’est aussi être humble, car celui qui s’élève rebute les hommes et se ferme le cœur de Dieu (Matthieu 18.1-4 ; Matthieu 11.25), —  humilité trop justifiée : quiconque aura saisi le principe spirituel de tout commandement de Dieu (Matthieu 5.17 ; Matthieu 5.48) se rendra compte qu’il y a en lui une source d’iniquité, que son cœur doit être changé et qu’il ne peut y avoir de perfection sans conversion (Matthieu 7.17 ; Matthieu 15.18 ; Jean 3.3). Une telle doctrine serait désespérante si Jésus ne joignait toujours un exemple vivant à ses préceptes les plus hauts, s’il n’avait pris soin que les plus humbles rencontres de la vie pussent nous parler de son amour et nous rappeler son commandement nouveau, s’il ne nous disait sans cesse : « Venez à moi, croyez en moi, demeurez en moi » (Marc 9.37 ; Matthieu 25.40 ; Jean 13.15 ; Jean 13.34 ; Jean 15.4 ; Jean 15.9-15).

Une double constatation, d’une incontestable portée apologétique, s’impose ici. L’expérience de tout chrétien comme les données de l’histoire établissent que, seul, un tel enseignement répond aux besoins des âmes et peut assurer l’avenir des sociétés humaines. D’autre part, l’idéal laissé par Jésus aux siens est à la fois si net et si contraignant que les apôtres n’ont pu ni l’oublier ni le discuter. Ils sont unanimes pour « peindre Christ » (Galates 3.1 ; cf. les tableaux de 1 Corinthiens 13 ; 1 Pierre 2.21 ; 1 Pierre 2.24), et leurs exhortations morales sont un écho fidèle de l’Évangile (Romains 12 et Romains 13 ; Philippiens 2.15 ; Éphésiens 4.32-5.2 ; Jacques 1.16-2.13, etc.). Une nuance, tout au plus, distingue ici le Maître des disciples : Jésus montrerait surtout le but à atteindre, eux parleraient davantage des difficultés du chemin. Ils ne sont que des hommes ; mais, toujours plus, ils chercheront dans la contemplation du Christ et la méditation de son œuvre le type même de toute Perfection (voir Plénitude).

La Bible se préoccupant moins d’analyses subtiles que d’affirmations dynamiques, les deux notions de perfection et de sainteté s’y opposent moins qu’elles ne s’y compénètrent jusqu’à se confondre (en particulier, et plus que ne le font sentir nos traductions, dans 1 Thessaloniciens 5.23 ; quant à 1 Pierre 1.16, ce texte s’inspire plutôt de Matthieu 5.48 que de Lévitique 19.2 ; cf. Jacques 1.4). Nous ne poserons donc pas (voir Saint et Sanctification) la question de savoir si la perfection est réalisable ici-bas. Rappelons seulement qu’en un temps où l’Esprit venait de manifester sa puissance et ses dons, certains chrétiens ont pu paraître dépasser leurs frères sur la voie de la majorité spirituelle. C’étaient les « parfaits » par rapport aux « enfants » qui en étaient encore aux « rudiments » ou au « lait » (1 Corinthiens 3.13 ; Éphésiens 4.13 et suivants, Hébreux 5.13-6.1 ; 1 Jean 2.13 et suivant). Paul se mettait sans orgueil au nombre de ces parfaits : il n’estimait pas pour cela n’avoir plus de progrès à faire (comparez, dans Philippiens 3.15 ; Philippiens 3.12). Voir la note à la fin de l’article Mystères.

On a voulu parfois trouver une justification de l’idéal monacal dans la parole : « Si tu veux être parfait, distribue aux pauvres tout ce que tu as et suis-moi » (Matthieu 19.21). C’est oublier que la pédagogie de Jésus ne s’enferme pas dans une formule unique, que le renoncement qu’il réclame, comme l’ascétisme dont son disciple peut avoir à s’imposer la discipline, varie avec les âmes et les circonstances, que le Christ a demandé à Dieu pour les siens « non de les retirer du monde, mais de les préserver du mal » (Jean 17.15). Les apôtres se soumettaient aux lois civiles de leur temps, vendaient et achetaient, exerçaient des métiers, participaient à la vie d’une société organisée. Ils aspiraient pourtant à l’avènement d’une économie renouvelée où la volonté de Dieu pourra enfin se réaliser pleinement (Romains 5.2 ; Romains 8.17 a, 1 Thessaloniciens 2.12 ; 1 Pierre 4.13 ; 2 Pierre 3.13 ; Apocalypse 21.1 ; Apocalypse 21.8 ; Apocalypse 22.1-5). Mais il n’est que de relire les épîtres pour se rendre compte de tout ce qui, selon eux et sur cette terre même, doit faire de la perfection la loi du chrétien et sa pensée constante, c’est-à-dire : le souci de la gloire de Dieu et d’un témoignage à rendre (1 Corinthiens 6.20 ; 1 Corinthiens 10.31 ; 2 Thessaloniciens 1.12) comme le fait, à ne plus discuter, d’une rupture entre un passé désormais aboli et cette vie nouvelle dont Dieu assurera la possession au croyant (Romains 6.2 ; Romains 6.11 ; Éphésiens 2.1-7 ; 1 Pierre 2.24). Car c’est Dieu qui appelle, inspire et, dans l’humble obéissance de l’homme, seul accomplit (2 Corinthiens 13.9 ; Romains 8.29 ; Romains 15.13 ; 1 Thessaloniciens 5.24 ; Philippiens 1.6 ; Philippiens 2.13 ; Éphésiens 1.16 ; Éphésiens 1.19 ; Éphésiens 2.10 ; Éphésiens 3.14 ; Éphésiens 3.19 ; Colossiens 1.9-11).

E. P.


Dictionnaire Encyclopédique de la Bible par Alexandre WESTPHAL, Pasteur, Docteur en Théologie, et professeur honoraire de l'Université de Toulouse (Faculté de Théologie protestante de Montauban).
Edition originale publiée en 1932 par les Editions et Imprimeries « Je Sers », Issy-les-Moulineaux. Imprimeries Réunies Ducros et Lombard, Aberlen et Cie. Valence sur Rhone.
Numérisation Yves PETRAKIAN – 2005 France.

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