A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z


Armée des cieux
Dictionnaire Biblique Westphal

I

Cette expression, si simple en apparence, soulève un problème du plus haut intérêt au point de vue de l’histoire religieuse d’Israël. Le peuple hébreu se trouvait en effet entouré de peuples dont la religion impliquait l’adoration des corps célestes, le culte des astres. Les Assyro-Babyloniens, comme les Phéniciens, étaient typiques à cet égard. On trouve des noms de villes israélites qui ne s’expliquent que par ces cultes astraux : Beth-Sémès, En-Sémès, peut-être Jérico, se rapportent, les deux premiers au soleil, et le troisième sans doute à la lune. Les prophètes protestent contre « l’étoile de votre dieu » (Amos 5.26). Sous Achaz, Ésaïe condamne « les piliers du soleil » (Ésaïe 17.8). Josias fait disparaître les chevaux consacrés au soleil (2 Rois 23.11). Il est possible que la grande répugnance qu’Israël a longtemps manifestée à l’égard de la cavalerie et des chars tienne à leur association avec des divinités païennes. Les prophètes ont entretenu cette défiance dont les rois avaient fait peu de cas. Le texte 2 Rois 17.16 montre bien le lien entre « l’armée des cieux » et l’idolâtrie. Il représente le Royaume du nord comme s’adonnant avec prédilection au culte de l’armée des cieux. Mais ce passage est fortement « deutéronomistique », donc hostile au Royaume du Nord, et ne doit pas être pris comme preuve historique. Toutefois, il a dû exploiter une situation de fait. Les autres textes qui désignent l’armée des cieux (les étoiles) comme objet d’un culte sont les suivants : Deutéronome 4.19 ; Deutéronome 17.3 ; 2 Rois 21.3 ; 2 Rois 21.5 ; Jérémie 8.2 ; Jérémie 19.13 ; Sophonie 1.6. Il ressort de ces passages que si le culte astral s’était insinué de bonne heure chez les enfants d’Israël (ou même avait persisté parmi eux depuis la plus haute antiquité), ce fut au VIIe siècle que Manassé « éleva des autels pour toute l’armée des cieux dans les cours du Temple » (2 Rois 21.5). Jérémie et Sophonie précisent dans les textes ci-dessus que les terrasses des toits des maisons favorisaient ce culte, ce qui donne une signification assez claire au texte 2 Rois 23.12, bien que les astres n’y soient pas expressément désignés. Soit par une pente naturelle de la pensée populaire, soit par un intelligent syncrétisme, les astres furent de bonne heure considérés comme une des plus glorieuses manifestations divines de Jéhovah, tant par leur nombre infini (Jérémie 33.22) que par l’ordre de leurs mouvements apparents (Ésaïe 40.26 ; Ésaïe 45.12). Ils sont constamment cités comme une des parties les plus splendides de la création (Genèse 2.1 ; Psaumes 33.6 ; Néhémie 9.6). Dans un passage énigmatique, ils sont décrits comme devant être anéantis au jour de l’Éternel (Ésaïe 34.4). Dans Daniel 8.9, Antiochus Épiphane est comparé à une « petite corne » qui renverse une partie de « l’armée des cieux » et fait tomber les étoiles. Ce passage a quelque analogie avec le mythe babylonien du Dragon, où les cieux sont renversés (cf. Apocalypse 12.4 ; Apocalypse 6.13).

II

Le terme « armée des cieux » sert aussi à désigner des êtres surnaturels, des anges, qui servent l’Éternel (1 Rois 22.19 ; 2 Chroniques 18.18). C’est la vision d’Ésaïe (voir aussi Néhémie 9.6b, cf. Luc 2.13). Le même sens se trouve probablement dans Daniel 4.35 ; Psaumes 103.21 ; Psaumes 148.2. Il est fait allusion aux mêmes êtres sous une autre appellation dans Psaumes 29.1 ; Psaumes 89.6 ; Ésaïe 6 ; Job 1.6 ; Job 2.1 ; Job 5.1 ; Job 15.15 ; Job 21.22 ; Job 38.7 ; Daniel 7.10. Ils sont souvent désignés comme formant une armée rangée Genèse 32.2 ; Josué 5.14 et suivant, 2 Rois 6.17 ; Psaumes 103.20; Joël 3.11 [« tes guerriers »], Job 25.3. Le texte Ésaïe 24.21 est énigmatique : Dieu doit « visiter » (signifiant : punir) l’armée d’En-haut.

III

La relation entre deux significations si distinctes pour nous de l’expression « armée des cieux » pour désigner soit les étoiles, soit des anges, ne constitue un problème que pour l’Occidental moderne. Pour l’Oriental, ces deux sortes d’êtres se confondaient plus ou moins. Les astres étaient aux yeux des anciens des êtres, soit souverains — et l’on avait alors le paganisme asiatique, — soit obéissant comme une puissante armée au Dieu créateur, Jéhovah. Sur ce point seulement se faisait la différenciation entre infidèles et fidèles. Mais nul ne doutait que les astres fussent des êtres animés (cf. Aristote, Métaph., XII).

L’identification avec les anges n’a pu être que tardive. Mais l’idée que les étoiles sont des êtres vivants qui prennent part à une action se trouve déjà dans Juges 5.20 et dans Job 38.7 où les étoiles du matin font pendant aux « fils de Dieu », ce qui implique au moins une analogie, suivant « les règles de la poésie hébraïque ». On a dit que ces personnifications étaient de simples figures poétiques. Mais il faut se rappeler que c’est donner là une explication moderne ; que les anciens, en tout cas les écrivains israélites, n’employaient jamais une expression entièrement au figuré. Toujours quelque réalité gisait sous l’image. Ou plutôt l’image n’était que le visage d’un être mystérieux. Le langage en gardait une inconsistance qui étonne notre esprit européen, ami des situations nettes. Ce flottement du sens du terme « armée des cieux », entre la signification « étoiles » et la signification « anges », en est un exemple typique. Poésie, théologie, mythes, superstitions, nature, tout se mêle en des proportions variables suivant les individus et les époques.

Il est significatif qu’un prophète comme Ézéchiel ait toujours évité d’employer cette expression, qui devait lui sembler compromettante. La pensée juive, loin de séparer peu à peu ces concepts, les mêla de plus en plus, comme le prouve la littérature tardive (Hénoch 18.21 21.1, Apocalypse 9.1-11). Seule la Sapience proteste que les astres ne sont pas des êtres vivants (Sagesse 13.2).

On ne s’étonnera pas de l’attrait de l’astrologie et du culte des astres en songeant que dans l’Italie si cultivée de la Renaissance, on ne cite guère que Pétrarque qui ait complètement échappé à cette emprise. Il ne faut pas oublier non plus qu’Achaz et Manassé étaient sujets du roi d’Assyrie, et l’on sait comment les religions suivent les destins politiques. J. D.


Dictionnaire Encyclopédique de la Bible par Alexandre WESTPHAL, Pasteur, Docteur en Théologie, et professeur honoraire de l'Université de Toulouse (Faculté de Théologie protestante de Montauban).
Edition originale publiée en 1932 par les Editions et Imprimeries « Je Sers », Issy-les-Moulineaux. Imprimeries Réunies Ducros et Lombard, Aberlen et Cie. Valence sur Rhone.
Numérisation Yves PETRAKIAN – 2005 France.